Extension de la prison de Lantin 2 : il est possible de choisir une autre voie que l’impasse carcérale

Nous reproduisons ici un communiqué de presse 18 janvier 2018 concernant l’extension de la prison de Lantin, signé par l’OIP-section belge, la Ligue des Droits de l’Homme, le Comité de Haren et l’asbl Respire :


Le gouvernement fédéral prévoit l’extension de la prison de Lantin sur 6 à 8 hectares des terres de la ferme biologique « la ferme à l’arbre » [1]. Cette extension menace la viabilité de la ferme. Après le projet de mégaprison de Bruxelles/Haren que le gouvernement espère construire sur le dernier espace vert de 20 Hectares - dont 12 Hectares de terres arables anciennement cultivées - au Nord-Est de Bruxelles, le gouvernement Michel persiste dans une voie sans issue.

Les conditions de détention à la prison de Lantin sont désastreuses et appellent des solutions rapides (voir annexe). Mais l’extension prévue ne permet pas d’apporter une réponse viable à ces problèmes, et crée des difficultés supplémentaires :

- Construire de nouvelles prisons ne réduit pas la surpopulation carcérale :
Le désastre carcéral en cours depuis de trop nombreuses décennies ne sera pas réglé par la construction de nouvelles prisons. Bien au contraire : on sait pertinemment d’une part que plus l’on construit de prison, plus on les remplit, et d’autre part que plus les prisons coûtent cher (comme c’est le cas avec les partenariet public-privés), moins il n’y a d’argent disponible pour les missions qui permettent de rendre la détention humaine et décente : l’encadrement, l’accompagnement et la réinsertion des détenus. Les besoins en la matière sont hurlants ;

- Il faut faire la lumière sur le coût réel des Partenariats-Public-Privés carcéraux :
La nouvelle prison devrait être construite via un Partenariat-Public-Privé (PPP). Le choix de ce mode de financement pose de très nombreux problèmes, qui ont été exposés dans une proposition de résolution à la Chambre déposée par les partis d’opposition dans le cadre du projet de mégaprison de Bruxelles/Haren (DOC 54 1568/001 [2]). Le gouvernement a jusque-là bloqué cette proposition de résolution, qui demande que deux audits soient réalisés par la Cour des Comptes sur ce type de financement. La Cour des comptes française a publié le 13 décembre 2017 un rapport accablant sur les prisons construites en PPP, invitant à les bannir. Il n’est plus possible d’éluder ce problème, crucial pour la Justice. Le gouvernement a peur de la transparence sur le financement des prisons. Nous demandons que les deux audits présentés dans la proposition de résolution soient réalisés avant d’engager d’avantage l’Etat dans ces partenariats problématiques ;

La politique carcérale du gouvernement actuel prolonge la grave erreur dénoncée depuis plus de 30 ans : investir dans les murs des prisons plutôt que dans l’humain, augmenter le nombre de cellules plutôt que de faire de la peine d’enfermement une mesure ultime, comme l‘affirmait l’accord de gouvernement de 2014 [3].

Il est possible de choisir une autre voie que l’impasse carcérale.

JPEG - 116.3 ko
Projet Lantin 2 - Illustration journal La Meuse

De nombreux exemples existent, comme en Suède [4] ou, dans une autre mesure, en Hollande [5], où des prisons sont fermées et davantage de moyens consacrés à la formation, l’accompagnement et l’insertion des détenus.

Des alternatives concrètes fonctionnent, comme la ferme de Moyembrie en France [6], où un avenir est proposé aux détenus de sorte que leur condamnation acquiert un sens, et qu’ils trouvent une place dans la société, en même temps qu’un tissu social et un travail, dans des formules qui sont écologiquement responsables qui préservent les terres arables dont nous avons un besoin vital.

Prendre soin de l’humain et préserver les terres arables n’est-il pas préférable à l’enfermement de masse et à la destruction des sols ?

Signataires :
Observatoire international des prisons – section belge
La Ligue des Droits de l’Homme
Comité de Haren
Respire asbl

Contacts :
OIP section belge - Nicolas Cohen : 0470/026 541
LDH - Damien Scalia : 0487/768 266
Comité de Haren – Laurent Moulin : 0488/030 901
Respire asbl – Jean-Baptiste Godinot : 0488/200 175

PDF - 374.5 ko
pdf/20180118_cp_lantin_2.pdf


Annexe : Extraits de la « Notice 2016 » de l’Observatoire Internation des Prisons – section belge

La situation dans la prison de Latin est calamiteuse. La « Notice 2016 » de l’OIP est un document qui fait référence sur l’état et l’analyse du parc pénitentiaire en Belgique. On y lit notamment à propos de la prison de Lantin :

  • 907,6 détenus en moyenne pour 694 places, soit une surpopulation de 30,8%
  • l’actuelle maison d’arrêt de Lantin, fragilisée par des infiltrations d’eau, des affaissements de terrain et un nombre trop important de détenus serait détruite. Notons qu’elle a été construite il y a à peine 40 ans… Il est prévu de construire sur le même site un nouvel établissement pénitentiaire (de 312 places en lieu et place des 343 places actuelles) avec une section de haute sécurité. La maison de peine subsisterait ;
  • À Lantin, les détenus nouvellement incarcérés se sont parfois retrouvés au cachot (parfois même en duo) par manque de place. Le phénomène de surpopulation touche tous les aspects de la gestion des établissements : suppression de la classification des détenus, grande liste d’attente pour l’accès au travail et à la formation, fréquentes mutations et transfèrements, longue attente en maison d’arrêt avant de partir en maison de peine, mesures de sécurité particulières à l’égard des détenus « extra », avec répercussions de ces mesures sur le régime des autres détenus, manque de parloirs pour les visiteurs, douches non quotidiennes, … Un détenu raconte : « Nous sommes trois dans une cellule de 3 mètres sur 4. Il y a deux lits superposés, une grande armoire. Le dernier arrivé n’a pas de place dans cette armoire, il doit mettre ses affaires dans une grande caisse en carton qu’il range sous la planchette murale, mais qu’il faut glisser sous la table quand il déplie son matelas. À ce moment, plus moyen de mettre les pieds sous la table. Dans la cellule, si un d’entre nous veut se dégourdir les jambes, un autre regarder la TV et le troisième essayer d’écrire (il a besoin qu’on ne regarde pas à sa table quand il écrit mais l’autre par exemple veut prendre du café), nous sommes toujours à contretemps  ». Un autre déclare encore : «  Les détenus sont parqués à 2 ou 3 dans une petite pièce qui compte un lit, une table et une chaise. Une seule chaise, ça veut dire que les autres mangent debout ou sur leur matelas. Les paravents se font rares, donc on doit faire ses besoins devant les autres. Un jour, il y en a un qui ch… pendant que je mangeais… ».
  • A la prison de Lantin, il y a quatre médecins généralistes pour 1.000 détenus.
  • A la prison de Lantin, il y a, pour assurer le suivi psychologique, l’équivalent d’1,5 temps plein pour 1.000 détenus.
  • Un médecin de la commission de surveillance indique ainsi qu’à la prison de Lantin, une femme de 35 ans a été retrouvée morte dans sa cellule, qu’elle n’avait pas été vue assez régulièrement par les médecins qui n’avaient donc pas pu constater la dégradation de son état de santé [7]. Le dossier a été classé sans suite par le parquet.
  • À Lantin, les piluliers contenant les médicaments sont systématiquement distribués par les agents d’aile sans aucune supervision médicale.
  • Un détenu de Lantin a dû attendre plus d’une semaine en avril 2013 avant d’être soigné et plâtré.
  • Selon le docteur de la commission de surveillance de Lantin, environ 70 à 80 % des détenus sont toxicomanes [8].
  • Le CPT a encore visité entre le 28 septembre et le 7 octobre 2009 les annexes psychiatriques des prisons de Lantin et de Jamioulx [9]. Concernant l’annexe psychiatrique de la prison de Lantin, le CPT rappelle que : «  l’Annexe Psychiatrique de la Prison de Lantin a été visitée à deux reprises par le CPT. A la suite de sa première visite, le CPT avait indiqué que « le niveau de prise en charge des patients placés à l’annexe psychiatrique était en dessous du minimum acceptable du point de vue éthique et humain ». Confronté à une telle situation, le CPT avait formulé de nombreuses recommandations, visant à la fois les ressources en personnel, les conditions de séjour, le traitement et le transfert des patients. Un constat quasi identique avait été formulé à l’issue de la deuxième visite et de nouvelles recommandations avaient été formulées. Consciente de la gravité du problème, les autorités belges ont fermé temporairement l’annexe psychiatrique de Lantin, laquelle ouvrit à nouveau ses portes début 2008  ».
  • La situation à Lantin n’a guère évoluée depuis cette visite. L’annexe est toujours surpeuplée. Les internés dits stabilisés sont dès lors toujours placés en polyclinique ou sur des ailes ordinaires de la maison d’arrêt, avec un régime similaire aux prévenus (à savoir 22h sur 24 en cellule, pas de possibilité de travail pour les internés, pas d’activité). Les internés placés en polyclinique n’ont que très peu accès à l’équipe soin. La polyclinique étant géographiquement très éloignée de l’annexe, le transfert des internés d’une section à l’autre pour participer à une activité ou à un entretien psychosocial est souvent laborieux. Les internés placés en polyclinique se plaignent régulièrement et à raison d’être les oubliés de la prison. Les agents de cette section n’ont pas été sélectionnés et formés pour gérer ce type de public.
  • Par ailleurs, le mélange des pathologies aggrave l’état de santé des détenus qui sont souvent parqués à trois 23h/24h dans une même cellule prévue pour un ou deux détenus ; le troisième dort dès lors sur un fin matelas placé à même le sol et qu’il faut relever la journée pour pouvoir circuler dans la cellule et ouvrir la porte. Les détenus mangent à tour de rôle ou ensemble, mais alors chacun assis sur son lit : il n’y a qu’une petite table et une ou deux chaises par cellule.

[3«  En outre, une réflexion approfondie concernant la peine appropriée à prévoir pour les infractions de moindre gravité sera menée avec comme objectif final de remplacer dans le Code pénal la peine d’emprisonnement par une peine de travail, une peine de surveillance électronique ou la probation autonome afin d’utiliser effectivement la peine de prison comme remède ultime. Pour les infractions les plus graves, la peine de prison est dans chaque cas maintenue.  », p. 117

[8AVFPB, « La santé en prison », Traits d’union, n°5, février 2015.

[9CPT, Rapport au Gouvernement de la Belgique relatif à la visite effectuée en Belgique par le Comité européen pour la Prévention de la Torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants du 28 septembre au 7 octobre 2009, CPT/inf (2010) 24, Strasbourg, 23 juillet 2010, disponible sur http://www.cpt.coe.int/documents/be...