Fusillade de Liège : il est temps de sortir du désastre carcéral

Il s’agit de faire la lumière sur cet élément crucial : quel suivi et quel traitement Benjamin Herman a-t-il reçu, vu son parcours semble-t-il chaotique, ses condamnations précédentes, sa sortie de prison prévue pour 2020 ? De toute évidence, les réponses à ces questions détermineront une part importante des causes qui ont conduit au triple assassinat de Liège. / La responsabilité du ministre de la Justice est en jeu. / La politique mise en œuvre par Koen Geens consiste à enfermer toujours plus de gens qui sont toujours moins suivis. L’équation est limpide : c’est celle de l’augmentation statistique du risque de récidive et du risque d’accidents. La politique carcérale du gouvernement Michel n’est pas seulement déraisonnable, elle est dangereuse. / Parmi les urgences, la réforme complète de notre système carcéral doit être prioritaire. Il faut sortir de l’emprisonnement de masse qui est un désastre criminogène.

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L’horreur de la violence s’est à nouveau brutalement rappelée à nous ce 29 mai à Liège. Nous présentons nos sincères condoléances aux familles et proches des trois personnes tuées. Le suspect était en congé pénitentiaire de la prison de Lantin depuis lundi, ce qui rend le drame encore plus insupportable pour la famille et les proches des défunts, et pour les personnes blessées.

Comment une telle horreur est-elle possible ? Si la réponse à cette question est complexe, une chose est sûre : la prison ne joue pas son rôle de réinsertion et n’accompagne pas comme il se doit les personnes qui y sont enfermées.

Le suspect, présenté comme « instable » a été enfermé à Marche et Lantin. Dans cette prison, l’OIP observe : «  A la prison de Lantin, il y a quatre médecins généralistes pour 1.000 détenus. A la prison de Lantin, il y a, pour assurer le suivi psychologique, l’équivalent d’1,5 temps plein pour 1.000 détenus.  » [1]
Il est malheureusement très probable que celui qui est devenu un tueur à Liège n’a pas pu y recevoir le suivi dont il avait probablement grandement besoin.
Il s’agit de faire la lumière sur cet élément : quel suivi et quel traitement Benjamin Herman a-t-il reçu à Lantin ? Quel suivi et quel accompagnement ont été mis en place vu son parcours semble-t-il chaotique, ses condamnations précédentes, sa sortie de prison prévue pour 2020 ?
Ces questions sont cruciales car de toute évidence, les réponses qui y seront fournies détermineront une part importante des causes qui ont conduit à ce triple assassinat.

Dès lors, la responsabilité du ministre de la Justice est en jeu. Elle porte principalement sur la qualité ou l’absence de qualité du suivi que le détenu a reçu tout au long de sa peine d’enfermement. Le contexte est connu : cela fait des années que les professionnels de la Justice, le secteur associatif et les Commissions de surveillance des prisons tirent la sonnette d’alarme [2], [3], [4], [5], [6]. Il s’agit de savoir si le ministre de la Justice a répondu à ces messages d’alarmes continus et pris les décisions nécessaires et praticables pour s’assurer que le suivi ad hoc ait été mis en place.

Souvent, bien trop souvent, nous oublions que les détenus sortent de prison un jour. Qu’ils redeviennent nos voisins. Et que par conséquent, il n’est pas raisonnable de continuer à enfermer massivement des gens, y compris des personnes instables, sans qu’ils soient accompagnés et suivis pour que la prison permette au détenu de reprendre pied et de ne pas dériver davantage. Et le cas échéant permette d’éviter des drames comme celui de Liège.
Le taux de récidive dans notre pays est supérieur à 50%. C’est dire si la prison est un échec et un problème réel auquel il faut s’attaquer d’urgence. Ce dont nous avons besoin, comme l’ont bien compris nos voisins hollandais et allemands, comme l’ont montré avec un clair succès les pays scandinaves, c’est de faire de la prison la peine ultime. Et de suivre et accompagner le détenu jusqu’à sa réinsertion dans la société.

Durcir la répression n’est pas une option. Enfermer encore plus n’est pas la solution, au contraire. Cela reviendrait à envoyer toujours plus de personnes en difficultés à l’école du crime. C’est pourtant cette politique que mène l’actuel gouvernement, qui veut lancer la construction de sept nouvelles prisons, sans rien faire pour améliorer significativement l’encadrement, l’accompagnement et le suivi des détenus.

Construire de nouvelles prisons coûte cher, très cher, et cela ne produit pas les résultats positifs promis : la surpopulation carcérale n’est pas endiguée [7], les conditions de détentions ne sont pas durablement améliorées, la sécurité de la société ne s’en trouve pas augmentée. Pire, le coût exorbitant de l’enfermement [8] empêche d’allouer les moyens qui ne sont dès lors plus disponibles à l’accompagnement et à la réinsertion des détenus, et il prive les institutions de la Justice de moyens dont elles ont un besoin criant.

La politique mise en œuvre par Koen Geens consiste à enfermer toujours plus de gens qui sont toujours moins suivis. L’équation est limpide : c’est celle de l’augmentation statistique du risque de récidive et du risque d’accidents.
La politique carcérale du gouvernement Michel n’est pas seulement déraisonnable, elle est dangereuse.

Rappelant ces faits, nous ne disculpons pas les criminels, encore moins le lâche assassinat de Liège. Nous ne voulons pas d’une société violente et savons que la violence engendre la violence. Sans qu’il soit possible de se prémunir complètement des drames humains comme celui du 29 mai, de nombreuses choses peuvent encore être faites pour concourir à éviter qu’ils se reproduisent. Parmi les urgences, la réforme complète de notre système carcéral doit être prioritaire.

C’est pourquoi nous demandons :

  • premièrement l’abandon de tous les projets de construction de nouvelles prisons,
  • deuxièmement l’augmentation très significative de l’accompagnement et le suivi des détenus, en vue de leur réinsertion et pour prévenir la récidive,
  • troisièmement la réforme du Code pénal pour faire de l’enfermement la peine ultime comme l’a promis le gouvernement Michel [9].

Il faut sortir de l’emprisonnement de masse qui est un désastre criminogène.

Des opposants à la mégaprison de Bruxelles/Haren : Jean-Baptiste Godinot – fontionnaire, Stéphanie Guilmain, Juliette Beghin – criminologue, Yoann Mathieu, Bibiane Bolle, Karin Stevens, Damien Scalia – professeur ULB, Catherine Montondo, Renaud Jean-Louis, Elisabeth Grimmer, Danièle Madrid, Benjamin Deman, Corinne Gobin – politologue ULB, Marie Van Oost, Raf Knops, Luk Vervaet – ex-enseignant à la prison de Saint-Gilles, Ana Navarro, Fabienne Delchevalerie, Philippe Delchevalerie
et
Bruxelles Laïques, les Acteurs des temps présents, Respire asbl, HarenObservatory


[7« Le fait d’augmenter la capacité carcérale n’est pas susceptible, en soi, de résoudre durablement le problème de la surpopulation. En effet, il a été observé dans de nombreux pays – y compris en Belgique – que la population carcérale a tendance à augmenter au fur et à mesure que la capacité carcérale s’accroît. » Comité pour la prévention de la Torture : Rapport au gouvernement de la Belgique relatif à la visite effectuée en Belgique par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants  ; CPT/inf (2010) 24, §79.

[8Nous estimons par exemple le coût d’enfermement dans le projet de mégaprison de Bruxelles, à Haren, à plus de 70.000 euros par personne et par an. Sans amélioration du suivi actuellement quasi inexistant des détenus. Voir : http://www.harenobservatory.net/le-...

[9Accord de gouvernement – 10 octobre 2014 ; 6.2.1. Modernisation du Code pénal et diversification des peines, p. 116 : « En outre, une réflexion approfondie concernant la peine appropriée à prévoir pour les infractions de moindre gravité sera menée avec comme objectif final de remplacer dans le Code pénal la peine d’emprisonnement par une peine de travail, une peine de surveillance électronique ou la probation autonome afin d’utiliser effectivement la peine de prison comme remède ultime. Pour les infractions les plus graves, la peine de prison est dans chaque cas maintenue. »
http://www.premier.be/sites/default...