Désastre carcéral : Koen Geens s’enferme dans un déni dangereux

Communiqué de presse HarenObservatory - 4 juin 2018

En s’enfonçant dans le déni, Koen Geens tente de justifier une politique injustifiable et dangereuse. Sa démission n’est pas un enjeu. L’enjeu est de sortir du désastre carcéral, et l’urgence est à l’abandon des projets de nouvelles prisons pour investir significativement dans l’accompagnement et le suivi des détenus.


Le drame de Liège a révélé l’énorme problème posé par la politique carcérale du royaume. En réponse à ce problème structurel, les gouvernements successifs ont presque systématiquement choisi une voie qui en renforce les causes plutôt que de les solutionner : ils ont investi dans les murs des prisons, et délaissé l’accompagnement et le suivi des détenus [1]. Le bilan est catastrophique : il y a toujours plus de détenus enfermés sans suivi approprié, alors que la prison est un milieu criminogène et déstructurant.

Le problème est ancien et ne peut pas être entièrement porté au débit du gouvernement Michel. Cependant, celui-ci a une responsabilité particulière : il a en effet choisi, jusqu’à présent, de construire encore plus de prisons, sans répondre aux incessants cris d’alarme des professionnels de l’enfermement qui alertaient sur le danger.

Ainsi, le 13 février dernier, la Commission de surveillance de la prison de Lantin tirait la sonnette d’alarme dans une carte blanche intitulée « Lantin ou la stratégie carcérale en échec » [2]. Sa direction dénonçait une situation inacceptable et dangereuse notamment dans l’annexe psychiatrique ou erraient des détenus qui n’avaient rien à y faire. Elle annonçait que les 4 psychiatres qui assuraient 5 demi-journées de soins psychiatriques arrêteraient de le faire à la fin du mois d’avril 2018, constatant qu’ils ne pouvaient pas soigner des personnes dans ces conditions. Cette alarme faisait suite à un premier message de la Commission de surveillance pénitentiaire de Lantin envoyé au Ministre de la Justice en décembre 2017. On ne sait si Benjamin Herman était passé par l’annexe psychiatrique. Il aurait dû quoi qu’il en soit recevoir des soins de santé mentale puisque qu’il était présenté comme « instable ». Cela n’était pas possible à Lantin, où les psychiatres avaient arrêté leur travail et où seul un temps-plein et demi de psychologue est prévu pour 1.000 détenus…

Le drame de Liège a eu lieu, et le Ministre de la Justice tente de justifier sa politique. Pour ce faire, il utilise trois ressorts :

1) focaliser l’attention sur le radicalisme djihadiste pour la détourner du problème de la santé mentale en prison. Il souligne ainsi dans L’Echo ce 3 juin 2018 [3] que ses services ont bien fonctionné puisque le détenu n’était pas radicalisé et ne devait donc pas être suivi comme tel. L’OCAM et Celex (cellule extrémismes en prisons) n’avaient rien à se reprocher. Ce dont on ne doute pas. Car comme le Ministre l’explique lui-même, le problème de ce détenu n’était pas tant celui du radicalisme que de l’absence de soins psychiatrique et psychologique. Pas le problème de l’OCAM et de Celex mais celui des prisons et de la politique carcérale ;

2) Après avoir auto-justifié son maintien en fonction et porté l’attention sur les services qui ont bien fonctionné (OCAM et Celex), le ministre reconnaît par ailleurs que le véritable problème est lié à l’absence de suivi psychiatrique de l’ex-détenu : "Il est perdu, il est drogué. Et il est faible. S’il est drogué, il peut passer d’une drogue à l’autre. Et la religion, ça peut être une drogue. Il ne connaît pas la religion, il ne l’étudie pas, mais il s’y soumet. Il est sensible et il n’a pas suivi un traitement psychiatrique dont il aurait eu besoin, car il n’est pas traité comme un malade. La vérité, c’est que la frontière entre les internés et les prisonniers, dans 10% des cas, elle est tout à fait arbitraire." La conclusion s’impose pourtant : il fallait un suivi psychiatrique. Cela était rendu impossible à la prison de Lantin, par faute de moyen et de prévoyance, par défaut complet de réponse politique aux signaux d’alarmes pourtant parfaitement clairs, et répétitifs, de la Commission de surveillance et de nombreux autres acteurs. Malheureusement, la situation à Lantin n’est pas très différente de celles de nombreuses autres prisons où la situation est également catastrophique. C’est bien toute la politique carcérale qui est un désastre, et c’est bien le ministre de la Justice qui en est responsable ;

3) Pris dans cette contradiction, cherchant à justifier son action dont il présente les lacunes graves lui-même, Koen Geens avance une solution qui n’en est pas une. Il promet l’ouverture d’un centre d’observation psychiatrique pour les détenus. [4] Que cet observatoire puisse être utile est une chose. Qu’il permettre de solutionner le problème du suivi psychologique et psychiatrique d’environ 11.000 détenus, dans le milieu particulièrement psychopathogénique qu’est la prison, en est une autre. Moins qu’un emplâtre sur une jambe de bois, Koen Geens promet un pansement pour arrêter une coulée de lave.

Le ministre de la Justice déclare encore qu’un centre de ce type était prévu pour janvier 2016, dans le projet de mégaprison de Bruxelles-Haren. Il observe que la prison a pris du retard et promet ce centre pour 2019. Soit l’année des élections qui verront changer le ministre de la Justice. Quant au projet de mégaprison de Haren, il est critiqué de toute part tant sa conception est viciée à l’origine et ne peut qu’augmenter les problèmes et risques liés à la détention. Ses travaux devraient durer au moins 5 ans et si elle devait malheureusement être maintenue, cette mégaprison n’ouvrirait donc pas avant 2023. Il s’agirait de la prison la plus chère du royaume, qui lierait l’Etat à un consortium d’entreprises privées pour 25 ans. Outre ce mégaprojet, le ministre de la Justice veut construire six prisons selon la formule ruineuse des Partenariats-Public-Privé.

Koen Geens organise de facto l’assèchement du budget de la Justice et le tarissement des moyens pour le suivi des détenus, qui est pourtant indispensable. Ce n’est pas de nouvelles prisons dont nous avons besoin, c’est de moins de prisons et de plus de suivi des détenus.

En s’enfonçant dans le déni, Koen Geens tente de justifier une politique injustifiable et dangereuse. Sa démission n’est pas un enjeu. L’enjeu est de sortir du désastre carcéral, et l’urgence est à l’abandon des projets de nouvelles prisons pour investir significativement dans l’accompagnement et le suivi des détenus.